Numéro 2
Construire la décroissance
Produire moins: tel est l’impératif de la décroissance. Dans cette perspective, il est toujours préférable d’entretenir et de mieux partager les bâtiments existants que d’en construire de nouveaux. C’est notamment un moyen de réduire les inégalités d’accès au logement entre les humains. Cela dit, lorsqu’il faut malgré tout bâtir du neuf, quels matériaux de construction utiliser pour ne pas dégrader davantage notre planète? Et comment faire pour que ces constructions ne soient pas facteurs d’injustice et qu’elles favorisent l’autonomie des humains qui les conçoivent et les habitent?
Qu’est-ce qu’un matériau décroissant?
Se soucier d’écologie en matière de construction implique de concevoir la terre comme une seule et grande communauté biotique1. Pour respecter cette communauté, les matériaux utilisés doivent provenir de sources au rythme de renouvellement élevé ou de stocks particulièrement importants. Afin de minimiser la pollution, il faut que ces matériaux puissent être transformés avec des moyens et des produits respectueux de l’environnement. cela suppose le moins de transport possible et aussi la garantie qu’ils ne nuiront pas à la santé de leurs usagers.
Dans une perspective de décroissance toujours, mais par souci de justice, cette fois, ces matériaux de construction ne devraient pas contribuer à la dégradation des conditions de vie des générations futures ni des autres êtres vivant sur la planète, en particulier les animaux. Ils doivent par ailleurs respecter les peuples qui habitent le territoire d’où ils sont extraits et pouvoir être accessibles au plus grand nombre.
Enfin, ces matériaux doivent favoriser l’autonomie de leurs usagers. Ceci implique que leur utilisation n’impose pas la mise en œuvre de moyens industriels et ne suppose qu’un processus de transformation minimal et simple. Autant que faire se peut, on doit pouvoir les extraire à proximité des lieux où ils seront utilisés et, là encore, sans qu’il soit nécessaire de mobiliser des moyens industriels lourds. Pour favoriser l’autonomie énergétique des constructions, leur potentiel isolant doit être aussi élevé que possible.
Au regard de ces critères, et hormis le bois, sur lequel nous allons revenir, les principaux matériaux de construction employés de nos jours devraient tous être mis de côté. Ils sont en effet issus pour la plupart de ressources non renouvelables, souvent extraits de manière destructrice sur le plan écologique, à l’aide de machinerie lourde, avant d’être transportés au loin puis transformés selon des procédés industriels coûteux. C’est le cas du sable, notamment, principal ingrédient du béton, le matériau de construction le plus utilisé au monde2. Pour produire une tonne de cet assemblage, il faut pas moins de 1,6 tonne de matières premières3. C’est pire dans le cas de l’acier. Une tonne de cet alliage requiert la transformation de 2,5 tonnes de matières premières…
Fondations, charpente et toiture
Le réemploi de matériaux, c’est-à-dire leur utilisation répétée sans modifier leurs propriétés, est l’avenue la plus intéressante pour la construction des fondations4. En effet, cela n’implique pas de consommation additionnelle de matières naturelles épuisables en vue de la transformation du produit, comme c’est le cas pour le recyclage5. Ainsi, remplir des pneus usés avec de la terre, les entasser et les faire tenir ensemble à l’aide d’une pâte d’argile pour asseoir la structure d’une maison est un bon moyen à la fois de stocker des déchets encombrants et d’éviter d’extraire de nouvelles ressources naturelles. Une stratégie du même type consiste à récupérer des morceaux de béton et de brique pour les réutiliser comme fondation en y associant de la terre crue (argile, chaux et autres). Les avantages des matériaux issus du réemploi sont nombreux. Leur coût est faible (prix, transport, énergie) puisqu’il s’agit de déchets et non de marchandises. Ils sont généralement assez accessibles – on trouve des pneus usagés partout sur la planète! Leur utilisation n’aggrave pas notre impact sur la Nature. Enfin, récupérer et préparer des matériaux usés pour la réutilisation est simple, et chacun peut le faire de façon relativement autonome.
Une fois les fondations du logement posées, il s’agit ensuite d’en dresser le squelette. La charpente est la structure de base de la construction. Elle sert de soutien pour la toiture, l’isolation ainsi que les matériaux de finition intérieure et extérieure. Le bois fait ici figure de matériau de construction idéal. Il est solide, flexible et permet d’ériger jusqu’à 12 étages6. De plus, les coupes d’arbres réalisées de façon sélective permettent le renouvellement naturel des forêts, et, une fois coupé, le bois continue d’absorber une quantité importante de gaz carbonique7. Au Québec, sa proximité et son abondance en font un matériau très accessible. En outre, il est facile à transformer et peut provenir de sources de réemploi. Cependant, il n’est pas exempt de défauts: afin d’être durable et de résister au feu, le bois doit être traité avec des retardateurs de flamme, et certains de ces produits sont soupçonnés de causer de graves problèmes de santé tels que l’hypothyroïdie ou encore des troubles du développement du système nerveux8.
Pour la construction des murs, la terre est à considérer sérieusement. Il s’agit d’un matériau peu énergivore, facile à utiliser et largement disponible. Puisque les propriétés de la terre diffèrent d’une région à l’autre, il convient d’employer la technique qui correspond à chacune. Ce peut être par exemple le pisé, qui utilise la terre humide compactée dans des coffrages pour construire des murs massifs et rectilignes, ou l’adobe, une technique de fabrication de briques moulées qui se solidifient en séchant, ou encore la bauge, un mélange de terre, de paille et d’eau9. La terre de construction est intéressante, car elle ne pourrit pas et résiste bien au feu. Enfin, puisqu’il ne s’agit jamais d’une terre végétale de surface, trop riche en matière organique et donc trop fragile, son emploi ne nuit pas à l’agriculture. Il faut cependant éviter l’extraction de terre crue à grande échelle pour limiter les dommages sur le plan écologique.
La structure érigée, il reste à poser un toit. Au Québec, celui-ci doit être suffisamment solide pour supporter le poids de la neige et assez imperméable pour prévenir les infiltrations d’eau. La terre possède de telles propriétés lorsqu’elle est cuite10. Mais les bardeaux de bois, qui présentent les mêmes caractéristiques que le bois de charpente, peuvent également être utilisés comme toiture.
Isolation, revêtements et mobilier
Une fois le gros œuvre achevé, il faut se préoccuper d’isoler son logis. Plusieurs matériaux organiques relativement faciles à cultiver et présentant un rythme de renouvellement rapide peuvent être considérés à cet effet. Le chanvre et le lin en sont de bons exemples. En effet, leurs fibres offrent une résistance thermique similaire à celle de la laine minérale. Ces plantes poussent rapidement, peuvent être cultivées sans engrais et, comme le bois, elles permettent un certain stockage de gaz carbonique durant leur vie utile11. Le réemploi des résidus et retailles de bois et de divers déchets issus de l’agriculture, telles la paille et les fibres de maïs, peut également servir à l’isolation12. Tous ces matériaux sont facilement accessibles et leur valeur isolante accroît l’autonomie énergétique du logement. De plus, ils nécessitent une transformation peu énergivore et peuvent être traités contre le feu et la moisissure avec un minimum de produits chimiques13.
Prochaine étape du processus de construction: le revêtement extérieur. Il s’agit de la signature esthétique de la construction et d’une forme complémentaire de protection contre les intempéries. Les matériaux les plus intéressants sont à nouveau le bois, pour toutes les raisons citées plus haut, ainsi que la terre crue et certains matériaux recyclés. Le revêtement peut aussi être conçu avec plusieurs matériaux réutilisés – bouteilles de verre, pneus d’automobile, canettes (boîtes) d’aluminium – superposés et agglomérés avec de la terre crue.
L’idéal serait de laisser le revêtement intérieur à l’état brut. Toutefois, si on veut rajouter une touche colorée, le mieux est de privilégier les peintures à base de minéraux, de chaux, d’argile ou encore de résine naturelle. La peinture minérale au silicate, par exemple, n’émet pas de particules volatiles nuisibles et potentiellement toxiques, résiste bien aux taches et est biodégradable. Elle est d’ailleurs parfaite pour un mur en terre. La peinture à la chaux, en plus de ces qualités, est hypoallergénique et antifongique14.
Enfin, la touche finale: le mobilier. Il existe une multitude de matériaux que l’on peut récupérer pour fabriquer des meubles: ceux issus du réemploi, la paille, le bois, la terre et plus encore. Un matériau moderne (du moins pour le mobilier), le carton, présente des attributs intéressants. Il est facile de s’en procurer, souvent gratuitement. Les plus sceptiques remettront en question sa robustesse. Pourtant, elle n’a rien à envier à celle du bois. Une fois peints et vernis, les meubles de carton résistent aussi bien aux chocs qu’à l’eau15. De plus, ce mobilier s’adapte à tous les espaces puisqu’il peut prendre toutes les formes. Les maîtres mots ici seront patience et créativité. Selon sa taille, il faut en effet compter de quelques heures à plusieurs semaines pour construire un meuble. Voilà une belle occasion de se retrouver autour d’activités collectives!
Au final, on le voit, les solutions ne manquent pas pour construire des habitations d’une manière respectueuse des trois valeurs principales de la décroissance: soutenabilité, justice et autonomie. Des matériaux comme le bois, la paille et la terre offrent des possibilités très intéressantes à cet égard. Cela dit, répétons-le, la vraie solution décroissanciste en matière de logement, c’est de ne pas construire, et plutôt d’entretenir et partager ce qui existe! Dans cette perspective, l’objectif doit être surtout de « déconstruire » certaines de nos habitudes et institutions, à commencer par la propriété lucrative (qui permet la spéculation immobilière16) et le modèle de la maison unifamiliale, du bungalow à la monster house.
1 John Baird Callicot, « Fondations de l’éthique de la terre », dans Éthique de la Terre, Paris, Wildproject (« Domaine sauvage »), 2010, p. 49-73.
2 Jean-Michel Torrenti (2015), « Béton », Encyclopædia Universalis [en ligne], 2015. Récupéré de [www.universalis-edu.com/encyclopedie/beton/]
3 Elisabeth Simard, «Les matériaux de construction résidentielle dans une perspective durable: analyse comparative», essai de maîtrise en environnement (M. Env.), Université de Sherbrooke, 2009.
4 Nous définissons le réemploi comme une forme de recyclage sans transformation. Les matériaux sont utilisés tels quels.
5 Nicholas Georgescu-Roegen, (1995). «La décroissance: Entropie - écologie - économie», 2e édition, Paris, Éditions Sang de la terre, 1995. Récupéré de [http://classiques.uqac.ca/contemporains/georgescu_roegen_nicolas/decroissance/decroissance.html].
6 Lise Veilleux, Sylvain Gagnon et Christian Dagenais, «Bâtiments de construction massive en bois d’au plus 12 étages», Régie du bâtiment du Québec, 2015. Récupéré de [www.rbq.gouv.qc.ca/fileadmin/medias/pdf/Publications/francais/guide-construction-massive-bois-plus-12-etages.pdf].
7 Elisabeth Simard, « Les matériaux de construction résidentielle dans une perspective durable ».
8 Centre d’expertise en analyse environnementale, «Le CEAEQ analyse de nouvelles substances: les composés retardateurs de flamme», Québec, Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2010. Récupéré le 22 octobre 2015 de [www.ceaeq.gouv.qc.ca/analyses/nouv_para_org.htm].
9 Agnès Rousseaux, «Construisez votre maison en terre et sauvez la planète», Basta!, 24 décembre 2009. Récupéré de [www.bastamag.net/Construisez-votre-maison-en-terre].
10 Andrew Hunt, «Sustainable Green Building with Clay and Concrete Roof Tile», Irvine (Californie), Boral Publications, 2012.
11 Elisabeth Simard, « Les matériaux de construction résidentielle dans une perspective durable ».
12 Bruce R. Ellingwood, David V. Rosowsky et Weichiang Pang, «Performance of Light-Frame Wood Residential Construction Subjected to Earthquakes in Regions of Moderate Seismicity», Journal of Structural Engineering, vol. 134, no. 8, 2008, p. 1353-1363; Hanifi Binici et al., «An Environmentally Friendly Thermal Insulation Material from Sunflower Stalk, Textile Waste and Stubble Fibres», Construction and Building Materials, vol. 51, 2014, p. 24-33.
13 Elisabeth Simard, « Les matériaux de construction résidentielle dans une perspective durable ».
14 Emmanuelle Walter, « Peintures recyclées, sans COV, naturelles... Comment échapper aux produits conventionnels », Écohabitation, s.d. Récupéré sur [www.ecohabitation.com/guide/peintures-recyclees-cov-naturelles-echapper-aux-produits-conventionnels].
15 [Stéphanie Guéritaud], « La révolution des meubles en carton », Deconome, 17 mars 2011. Récupéré sur [www.deconome.com/2011/03/17/la-revolution-des-meubles-en-carton/].
16 Lire, dans ce numéro, « De quel droit sommes-nous propriétaires? ».
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