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Numéro 1

Les promesses de la permaculture

Geoffroy Lonca et Claire Maguer

L’industrie agroalimentaire révèle chaque jour un peu plus ses limites et ses effets pervers, comme le montrent plusieurs articles de cette livraison de « L’échappée belle ». Destructrice, injuste et aliénante, on ne peut que souhaiter sa disparition dans la perspective de sociétés post-croissance. Mais par quoi la remplacer? La permaculture, dont on vante de plus en plus les bienfaits, pourrait peut-être faire partie de la solution. Toutefois, s’agit-il vraiment d’une pratique plus soutenable, moins injuste et plus émancipatrice, et peut-on envisager sa généralisation?  

 

Qu’est-ce que la permaculture ?

En première approche, la permaculture est un ensemble de pratiques visant la création des systèmes agraires autosuffisants, autorégulateurs, productifs et résilients. Pour ce faire, les permaculteurs s’inspirent du fonctionnement des écosystèmes naturels, duquel ils s’efforcent d'en reproduire les principes. Cela suppose en premier lieu d’étudier de façon minutieuse ces écosystèmes et d’adopter une approche systémique du vivant. Proche de l’agriculture sauvage[1], la permaculture valorise le non-agir, une attitude qui consiste pour l’Homme à s’insérer dans la nature bien plus qu’à tenter de la maitriser. En ce sens, il s’agit d’une rupture avec le rapport à la nature caractéristique de la civilisation occidentale moderne. 

 

Par exemple, à la différence de l’agriculture industrielle qui repose sur un usage intensif de la charrue, on ne retourne pas la terre selon les principes de permaculture. De même, au lieu de privilégier la monoculture, le permaculteur crée des associations positives de plantes (légumes, herbes, fleurs comestibles) qui s’auto protègent des prédateurs. Plutôt que d’arroser artificiellement, il va placer des souches de bois mort dans la terre, pour qu’elles y retiennent l’humidité et irriguent ainsi naturellement le sol sans intervention humaine. D’une façon générale, il va être attentif aux différentes fonctions possibles de chaque élément du système : les poules ne fournissent pas seulement des œufs, elles nettoient le sol, le fertilisent, mangent les déchets et les insectes.

 

Popularisée par les inventeurs du mot, Bill Mollison et David Holmgren, dans les années 70, la permaculture ne constitue cependant pas une innovation radicale.[2] Elle consiste pour une part à redécouvrir des savoirs et des pratiques ancestrales. De nombreuses sociétés traditionnelles ont appliqué depuis fort longtemps des principes permaculturels.[3] D’ailleurs, au 17e siècle, on définissait l’« agriculture » comme  «l’art de cultiver la terre pour la rendre fertile indéfiniment », ce qui pourrait être considéré comme une assez bonne définition de la permaculture. Celle-ci s’appuie toutefois aussi sur nos connaissances scientifiques modernes des écosystèmes. On pourrait donc parler d’un mariage entre tradition et modernité sur le plan du savoir.

 

Les 12 principes de conception de la permaculture[4]

a)      Observer et interagir

b)      Collecter et stocker l’énergie

c)      Créer une production

d)     Appliquer l’autorégulation et accepter la rétroaction

e)      Utiliser les ressources et valoriser les services renouvelables

f)       Ne pas produire de déchets

g)      Partir des structures d’ensemble pour arriver au détail

h)      Intégrer plutôt que séparer

i)        Utiliser des solutions à petites échelles et avec patience

j)        Utiliser et valoriser la diversité

k)      Utiliser les interfaces et valoriser les éléments de bordure

l)        Utiliser les changements et y réagir, de manière réactive

Les 3 principes éthiques de la permaculture

1.      Prendre soin de la Terre

2.      Prendre soin de l’humain

3.      Partager équitablement

 

Des pratiques soutenables écologiquement

Les indices du caractère insoutenable sur le plan écologique de l’agriculture industrielle s’accumulent. Prenons le cas de la banane, le fruit le plus consommé au monde. Il risque tout simplement de disparaitre du fait que 97% des bananes vendues sur le marché proviennent d’une seule variété. Ce manque de diversité génétique rend la plante très vulnérable aux ravageurs. Pour y faire face, les bananiers sont aspergés d’une très grande quantité de produits chimiques, ce qui finit par rendre les insectes plus résistants et plus difficiles à éliminer[5]. Aujourd’hui, un champignon ravageur menace très sérieusement la monoculture de la banane[6].

 

La permaculture repose au contraire sur la polyculture, ce qui rend la production d’aliments beaucoup moins sensible aux ravageurs, aux aléas climatiques et aux fluctuations du marché. Il s’agit de créer des systèmes agricoles productifs et abondants à long terme, ce qui suppose aussi de ne plus produire de déchets. Dans la permaculture, « les productions des uns sont les matières premières des autres ». Il n’existe donc pas de perte, pas de réelles externalités négatives. On sort du schéma actuel de « consommation-excrétion[7] ».

 

De plus, la permaculture insiste sur l’utilisation et la valorisation des ressources et services renouvelables. Sans nier que l’usage d’énergie non renouvelable puisse être nécessaire, les concepteurs du mot insistent sur le principe de ne pas utiliser le « capital » pour les « dépenses courantes ». Il faut faire la meilleure utilisation possible des ressources naturelles renouvelables pour créer une production et la maintenir et utiliser au maximum des services naturels inépuisables afin de minimiser notre consommation d’énergie et de ressources - le cheval vaut mieux que le tracteur!

 

Une réelle coopération entre humains et non-humains

Notre civilisation repose sur une relation très particulière avec la nature; une relation dans laquelle la nature est essentiellement un moyen de subvenir aux besoins humains. L’Homme interagit donc avec son environnement dans une dynamique d’exploitation et de contrôle. Il semble oublier qu’il est soumis lui aussi aux lois qui gouvernent l’univers matériel et le monde vivant.

 

Pour le permaculteur, il n’est pas question que les humains dominent la nature. « Nous ne sommes pas plus importants qu’un ver de terre », affirme Christophe Gatineau.[8] Chaque élément du système est important et nécessite d’être protégé. La pédofaune (vers de terre, mille pattes, etc...), par exemple, ne doit surtout pas être détruite dans une agriculture permaculturelle. Elle contribue à la fertilité et à la biodiversité du sol. Les vers de terre réalisent un travail souterrain capable de supplanter celui de la charrue.

 

Les relations entre humains et non-humains prennent ainsi plutôt la forme d’un échange et de rapports de coopération, dont l’objectif principal est le maintien de la vie. Entre humains, la permaculture prône un partage équitable de ce qui est produit et la redistribution des surplus quand il y en a. On est loin ici des injustices causées par l’agriculture industrielle et le système alimentaire qu’elle soutient.

 

La reconquête de l’autonomie

En rendant aux humains la possibilité de satisfaire par eux-mêmes leurs besoins alimentaires, à condition que les savoir-faire nécessaires soient accessibles à tout le monde, la permaculture réduit notre dépendance au système marchand. En effet, une des applications les plus répandues de la permaculture se retrouve dans le modèle de la forêt comestible[9] où la nature est capable de nous donner accès par exemple à différents types de noix, d’agrumes, de fruits, de plantes et de champignons comestibles. On peut même y retrouver des ruches afin de produire nos besoins en sucre. Elle va à l’encontre de « l’entreprisation du monde » en favorisant l’autoproduction et les circuits courts entre producteurs et consommateurs. L’être humain peut ainsi reprendre le contrôle non seulement de son alimentation mais plus largement de sa vie.

 

Mais la permaculture permet aussi de s’émanciper de la domination de la technique, et particulièrement des machines. Elle repose en effet le plus souvent sur des techniques simples[10], contrôlables par leurs utilisateurs et n’exigeant pas d’investissements lourds. On peut les qualifier de « conviviales », au sens d’Ivan Illich, en tant qu’elles augmentent l’autonomie de leurs utilisateurs et ne créent ni maîtres ni esclaves. En rompant avec les techniques industrielles, la permaculture permet d’éviter les aspects les plus contreproductifs de ces techniques : coûts externes croissants, effets de saturation, dépendance vis-à-vis de spécialistes.

 

Bien que le permaculteur ne rejette pas par principe la technologie et l’innovation, il reste très méfiant à cet égard et pense que les solutions techniques sont souvent un « cheval de Troie recréant les problèmes sous d’autres formes », comme dit Holmgen. Pensons aux engrais chimiques. Cette technique a effectivement permis d’augmenter de manière très significative les rendements agricoles. On constate aujourd’hui qu’elle a aussi généré de graves effets pervers, parmi lesquels une dégradation de la santé humaine, l’acidification des sols, la pollution des nappes phréatiques et, last but not least, la stérilisation des sols.[11]

 

Enfin, la permaculture critique la méthode scientifique moderne que David Holmgren juge réductionniste, dans la mesure où elle isole les éléments des systèmes pour les étudier séparément au lieu de penser leurs relations. « Une tendance problématique à se focaliser sur la complexité des détails débouche sur des usines à gaz impressionnantes qui ne fonctionnent pas ».

 

La permaculture est-elle généralisable ?

A l’évidence, la permaculture représente un mode de production d’aliments bien plus soutenable, plus juste et moins aliénant que notre agriculture industrielle. Cette pratique est donc tout à fait cohérente avec la perspective décroissanciste. Reste une question de taille : est-ce concevable de nourrir 7 à 10 milliards d’humains selon ces principes? Il est bien difficile de répondre par l’affirmative à cette question, tant le saut qu’exigerait le passage de l’agriculture industrielle à la  permaculture semble vertigineux. Deux choses sont certaines : 1) nous ne pouvons plus continuer à nous alimenter sur la base du système actuel; il est urgent d’en changer; 2) la permaculture devrait pouvoir d’ores et déjà inspirer de nouvelles pratiques agricoles moins problématiques, même s’il ne s’agit pas de permaculture au sens strict.

 

Encore faut-il que celle-ci soit connue et reconnue. Aujourd’hui, la permaculture est majoritairement pratiquée par des communautés ou des individus qui paraissent vivre en marge de la société. Elle est donc soit ignorée du grand public, soit associée à l’image de « hippies pratiquant des câlins collectifs », selon l’expression de la permacultrice montréalaise Émilie Nollet. La première chose à faire est de briser cette image et de mettre en évidence tout le potentiel de cette approche, y compris en milieu urbain. C’est ce que nous avons tenté de faire, modestement, dans ce texte. Mais cette promotion de la permaculture peut passer par d’autres moyens, comment l’entrepreneuriat social par exemple.

 

Certes, l’entreprise privée repose sur des principes en partie contradictoires avec ceux de la permaculture, à commencer par la quête de croissance. Toutefois, elle peut constituer un bon outil, à titre transitoire, pour faire connaitre cette approche ou encore pour coordonner des initiatives en permaculture. Avis aux entrepreneurs en quête d’idées!

Notes

[1] Masanobu Fukuoka est un agriculteur japonais qui dans les années 60 a développé et appliquée l’agriculture naturelle, elle dut une inspiration pour toute une génération et peut être considéré comme les prémices de la permaculture moderne.

[2] David Holmgren, Permaculture. Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Paris, Éditions Rue de l’Échiquier, 2014.

[3] On retrouve effectivement chez le peuple Chagga du nord de la Tanzanie des systèmes s’apparentant à de la permaculture comme on la définit actuellement.

[4] Holmgren, op. cit., p.18-19.

[5] Gilles Camus, « La culture de la banane », 12 octobre 2012 - http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/bananier/bananier.html

[6] Jean-François Cliche, « Adieu la banane ? », Le Soleil, 4 septembre 2011 - http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/science/201109/03/01-4431521-adieu-la-banane.php

[7] Il s’agit ici de la linéarité de notre système économique : production de marchandises, consommation, production de déchets.

[8] Christophe Gatineau est un permaculteur français. Il est notamment l’auteur de : Aux sources de l'agriculture. La permaculture : illusion et réalité, Éditions du sable fin, 2014.

[9] Une « forêt comestible » reproduit les caractéristiques des forêts tout en ayant une production directement utile à l’Homme plus abondante, grâce au choix de variétés comestibles.

[10] On pense entre autres ici aux souches d’arbres morts évoquées plus haut qui réduisent, voire éliminent le besoin d’arroser.

[11] « Couplé à un mauvais drainage, l'emploi intensif d'engrais risque la salinisation des zones trop arrosées, provoquant ainsi la stérilisation des sols et leur désertification ; on estime à 7 millions le nombre d’hectares ainsi devenus inexploitables, uniquement en Inde. » - http://avoir-la-science-en-gre.e-monsite.com/pages/ii-quels-sont-les-effets-des-engrais-sur-l-environnement.html#2kjMgS2lOypMP7Gh.99

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