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Numéro 2

Pour la ville

Luc Ferrandez*

Le mythe de la campagne comme siège de la simplicité (Giono, Tolstoï, Leclerc, Thoreau) et son pendant, la ville comme royaume de la consommation (voire du luxe et de la débauche), est aussi faux que persistant. Il connaît un regain de faveur avec l’afflux de tous ces écrits sur la paysannerie à visage humain, la recherche d’autonomie énergétique et alimentaire. Si par malheur le monde entier se ruait sur la campagne, notre pauvre planète ne survivrait pas, tant la consommation énergétique d’une maison et d’une voiture individuelle surpasse celle d’un appartement et des transports en commun. Et que dire de la consommation d’espace!

 

Mais derrière cette vision de la ville comme haut lieu de la destruction des ressources, il y a un automatisme encore plus tenace que le premier: c’est celui de l’isolement comme remède à la consommation. La décroissance est souvent proposée comme le débranchement d’avec un monde qui s’accélère et qui s’épuise dans une consommation inutile. La posture psychologique de la personne qui adopte la décroissance, c’est l’autonomie. Il ne fait pas de doute qu’il faut une sérieuse dose d’autonomie pour se débrancher de l’aliénation consumériste, mais je fais l’hypothèse que c’est au contraire la communauté qui est la clé de l’indépendance. Il faudrait donc distinguer l’autonomie de l’isolement et surtout de l’individualisme.

 

Le plus puissant vecteur de frugalité individuelle est la ville à visage humain, c’est-à-dire la ville génératrice de rencontres – de toutes sortes de rencontres: aléatoires, programmées, de voisinage, politiques, contraintes ou libres. À l’inverse, la consommation s’accélère avec l’augmentation de l’individualisme. C’est dans les villes, les banlieues et les campagnes qui n’offrent pas d’occasions de rencontres que la consommation devient le véhicule privilégié du bonheur. La consommation individuelle (des machines à café domestiques sophistiquées aux cinémas maison) et le besoin d’évasion (du voyage à la maison de campagne) sont proportionnels à la banalité de nos espaces collectifs et de nos modes de production qui excluent l’entraide, l’échange, le partage. C’est parce que nos villes sont devenues collectivement pauvres (d’un point de vue urbanistique et économique) que nous avons besoin de consommer autant.

 

Dans la ville dont je rêve, on partage des jardins et des voitures; on se croise dans la ruelle et au parc; on emprunte des chemins d’évasion en vélo pour accéder à des parcs nature qui remplacent les maisons de campagne; le café ou le resto du coin est un second salon, on voyage de façon frugale en rencontrant des gens qui partagent ces valeurs, on est contraint à un peu de bénévolat, on garde les enfants des autres, la cour d’école est un petit parc de proximité, on fait ses courses à pied, on s’assoit sur le balcon pour observer la ruelle, on fréquente la piscine locale, etc. Combien de piscines privées évités, de kilomètres évités, de résidences secondaires évitées? Il me semble qu’elle est là, la vraie décroissance. En tous les cas, c’est à celle-là que je travaille.

 

* L’auteur est maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal et chef intérimaire de Projet Montréal.

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