Numéro 4
Nous ne sommes pas des veaux !

Dans son guide alimentaire, Santé Canada nous recommandait jusqu’à récemment de consommer cinq cents millilitres de lait par jour ; soit deux à trois portions de produits laitiers pour subvenir à nos besoins en matière de calcium et de vitamine D. La dernière version de ce guide est plus réservée concernant ces quantités recommandées, mais est-ce suffisant au regard des critiques nombreuses qui sont désormais formulées concernant la consommation de lait ?
Un aliment pas si sain ?
Le lait n’est pas essentiel pour notre santé et semble même avoir des conséquences néfastes. Tout d’abord, trois quarts des humains à l’âge adulte ne possèdent pas de lactase[1], l’enzyme nécessaire à la digestion du lait. Le lactose est le sucre principal présent dans le lait et, dans une moindre mesure, dans les autres produits laitiers, grâce à la fermentation. Ainsi, la consommation de lait peut provoquer des troubles de la digestion.
De plus, l’idée selon laquelle le lait constitue l’une des meilleures sources de calcium pour assurer la solidité des os est fausse. On préconise généralement la consommation de lait pour prévenir l’ostéoporose (maladie qui provoque la fragilité et la porosité des os). Seulement, dans les pays développés où la consommation de lait est importante, le nombre de cas d’ostéoporose est plus élevé que dans les pays où elle est bien moindre[2]. Les protéines animales consommées, contrairement aux végétales, provoquent la décalcification des os en augmentant le taux d’acidité dans le sang. Aussi, elles provoquent le rejet du calcium par le corps humain[3]. On parle ainsi du « paradoxe du calcium »[4].
La consommation excessive de lait est considérée comme un facteur favorisant le risque de contracter le cancer de la prostate chez les hommes. Cela s’expliquerait par la trop grande quantité de graisse animale et de calcium qu’elle apporte[5]. Aussi, les gras saturés favorisent les maladies cardio-vasculaires.
Par ailleurs, 80% du lait qu’on consomme provient de vaches enceintes puisque ces dernières en produisent 350 jours par an[6]. Le lait regorge donc d’hormones de croissance de veaux et de grossesse. Si aucune étude ne démontre les impacts de la consommation de ces hormones sur notre santé, il convient de se questionner sur les effets à long terme de tels éléments dans notre corps ou même au niveau du système endocrinien.
Au-delà de ces facteurs, le lait est composé de protéines allergènes qui peuvent provoquer des réactions telles que des maux de tête, des douleurs articulaires, de l’asthme ou encore du diabète[7].
En plus des effets néfastes de la consommation de lait sur le corps humain, sa production contribue à la dégradation de la biosphère. L’ONU rapporte que 18% des émissions de gaz à effets de serre[8] résultent de l’élevage industriel[9]. Du fait de leurs systèmes digestifs (éructation et flatulences), les vaches émettent, notamment, une importante quantité de méthane. Or, celui-ci accélère le processus de réchauffement climatique.
L’élevage de vaches laitières a aussi besoin de beaucoup d’eau douce : on estime à 20 litres la quantité d’eau moyenne nécessaire pour produire 1kg de lait normalisé[10]. De plus, les déjections de ces animaux, les antibiotiques et les hormones qu’on leur fait consommer sont de grandes sources de polluants dans l’eau[11].
Enfin, l’élevage cause des impacts négatifs sur le sol[12]. En effet, la terre se densifie lorsque la charge animale augmente. Un piétinement répété des sols entraîne leur érosion et leur étanchéité. Aussi, la culture des fourrages utilisés dans leur alimentation appauvrit la terre par l’irrigation excessive et l’utilisation de produits chimiques comme les fertilisants et pesticides imposés par le rythme intensif de production.[13]
Facteurs d’injustices
Depuis les années 1970, les quotas canadiens rendent la production de lait plus profitables que les autres productions agricoles. Ces quotas permettent d’assurer un revenu substantiel aux producteurs[14] dans un système qui repose sur une agriculture intensive et dépendante des produits chimiques. Les ressources utilisées pour la production de lait pourraient être mobilisées pour des productions plus saines et durables, afin de répondre à d’autres besoins humains, éventuellement plus urgents.
Depuis les années 1990, la surface de terres cultivées n’a pas cessé d’augmenter et le pourcentage de terres irriguées a doublé (utilisant beaucoup d’eau généralement potable)[15] et pourtant 1 personne sur 9 souffre encore de la faim. La permaculture ou l’agroécologie, qui prennent en compte l’environnement dans la production agricole, assureraient une plus grande productivité, permettant de nourrir durablement la population mondiale[16].
De plus, cette production laitière impose des souffrances considérables à ces animaux. Les veaux, séparés à la naissance de leur mère pour réserver le lait à la consommation humaine, souffrent de stress[17]. De plus, la vie en captivité réduit drastiquement leur espérance de vie.
Depuis le début des années 2000, au Canada, l’élevage bovin tend à s’intensifier[18]; les projections mondiales vont dans ce même sens en ce qui concerne les bovins laitiers[19]. La production du lait augmente, mais pour un nombre plus restreint de vaches productrices, du fait des progrès en matière d’alimentation, de soins et de génétique, toujours dans un souci de productivité. En effet, depuis le début du siècle dernier[20], la sélection des vaches pour chercher à produire le plus de lait possible tend à modifier la composition du lait mais aussi à considérer ces animaux comme des machines. La vache produit actuellement 27 kg de lait par jour alors qu’elle en produit 7 naturellement. L’intensité de cette production génère de nombreux maux notamment l’infection des pies, ou encore des mutilations subies pour optimiser la performance.[21] L’alimentation fournie aux vaches dépend de leur production de lait. Afin d’assurer une production optimale, les vaches les plus productives sont plus alimentées. Ainsi leur bien-être dépend de leur rentabilité.[22]
Une production hétéronome
La consommation de lait est contraire à l’un des principes fondamentaux de la décroissance : l’autonomie. Derrière cette consommation qui semble au plus grand nombre anodine et nécessaire, se cache une industrie puissante visant le profit maximal. Aujourd’hui, ce sont de grands groupes industriels, fonctionnant comme de véritables usines, qui nous déversent des quantités toujours plus grandes de lait et de ses dérivés. Au Canada, 64% des producteurs laitiers gagnent plus de 250 000$ par an[23]. Le lait constitue pour cette industrie une valeur d’échange qui lui permet assurément de s’enrichir. Sa consommation témoigne de la domination des marchandises et de l’économie sur nos sociétés, imposée par le capitalisme.
Cette consommation est hétéronome aussi dans le sens où, dès le plus jeune âge, elle nous a été conseillée par Santé Canada, et reste intégrée dans la ligne directrice 1 du guide alimentaire actuel. Ce guide émet, depuis plus de 70 ans, des recommandations sur la consommation alimentaire. Il est distribué dans les écoles et les hôpitaux et constitue l’un des documents gouvernementaux les plus téléchargés[24]. Il témoigne d’un mode de production dans lequel non seulement nous ne sommes plus en mesure de nous nourrir par nous -mêmes, mais nous ne savons plus de quoi nous nourrir, ni à qui nous fier pour ce faire. Que nous ayons besoin d’experts pour savoir quoi manger et dans quelles quantités est bien la preuve que nous avons perdu le contrôle de nos existences.
Et ces experts peuvent-ils vraiment se permettre de nous recommander de consommer moins de lait, compte tenu de l’importance économique de ce secteur d’activité ? On aimerait en avoir la certitude…
[1] Desaulnier, Élise (2013) Vache à lait : Dix mythes de l’industrie laitière. Montréal : Stanké, p. 61
[2] Ibid, p. 42
[3] Campbell, T. Colin et Thomas M Campbell (2004) The China Study, BenBella Books, p.205-206.
[4] Desaulnier, Élise (2013) Vache à lait : Dix mythes de l’industrie laitière ». Montréal : Stanké, p. 42
[5] Société canadienne du cancer « Facteurs de risque du cancer de la prostate » [en ligne] Récupéré le 15 avril 2017 de : [http://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-type/prostate/risks/?region=qc#ixzz4f5z4X9oe]
[6] Desaulnier, Élise (2013) Vache à lait : Dix mythes de l’industrie laitière. Montréal : Stanké, p. 54
[7] Savoir Laitier, « Le point sur les produits laitiers et le diabète de type 2 » [en ligne] Aout 2017. Récupéré le 27 février 2019 de : https://www.savoirlaitier.ca/donnees-scientifiques/roles-dans-certains-problemes-de-sante/le-point-sur-les-produits-laitiers-et-le-diabete-de-type-2
[8] Gaz à effet de serre liés à l’élevage : dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote, ammoniac.
[9] Hamerschlag, Kari « Meat Eater’s Guide » [en ligne] Juillet 2011. Récupéré le 30 mars 2017 de : [http://static.ewg.org/reports/2011/meateaters/pdf/report_ewg_meat_eaters_guide_to_health_and_climate_2011.pdf?_ga=1.145613684.1724767763.1493143852]
[10] Quantis, Groupe Agéco et CIRAIG « Analyse du cycle de vie de la production de lait au Canada » [en ligne] Novembre 2012. Récupéré le 20 avril 2017 de : https://www.dairyresearch.ca/pdf/QuantisMILKExecutiveSummaryFR_FINAL.pdf
[11] Gareau, Gariepy, Gingras et Rasmussen (1999) « Pour une politique de transition à l’agriculture biologique au Québec », La problématique de la pollution agricole, ses impacts sur la santé des cours d’eau et sur la santé humaine.
[12] Ibid.
[13] Serreau, Coline (2010) « Solutions locales pour un désordre global ».
[14] Goudounèche, Catherine (1995) « Le marché des quotas laitiers au Canada : une expérience originale », Agriculture et environnement, volume 117, numéro 1, p.177-181. Récupéré le 21 mars 2017 de : http://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1995_num_117_1_5723
[15]The World Bank, « Agriculture & Rural Development », Agricultural land et Agricultural irrigated land (% land area). Récupéré le 21 avril de : [http://data.worldbank.org/topic/agriculture-and-rural-development]
[16] De Schutter, Olivier (2011) « Agroécologie et droit à l’alimentation », Rapport présenté à la 16ème session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
[17] Wagner et al. « Effects of mother versus artificial rearing during the first 12 weeks of life on challenge responses of dairy cows », Applied Animal Behaviour Science. [en ligne] (2015). Récupéré le 10 avril 2017 de : http://www.appliedanimalbehaviour.com/article/S0168-1591(14)00329-3/abstract?cc=y=
[18] Commission Canadienne du lait, « Production » (2016). Récupéré le 20 avril 2017 de : http://www.cdc-ccl.gc.ca/CDC/index-fra.php?id=3801
[19] « Lait et produits laitiers » (2016) Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO 2016-2025, Éditions OCDE, Paris. Récupéré le 10 avril 2017 de : http://www.fao.org/3/a-BO101f.pdf
[20] Jones, Eliza (1894) Laiterie payante ou la vache du pauvre. Trois-Rivières.
[21] Desaulnier, Élise (2013) Vache à lait : Dix mythes de l’industrie laitière. Montréal : Stanké, p. 99
[22] Ministère de l’agriculture, de l’alimentation et des affaires rurales de l’Ontario, « Guide d’alimentation des vaches laitières ». Récupéré le 3 avril 2017 de : http://www.omafra.gov.on.ca/french/livestock/dairy/facts/pub101.htm#sousetsur
[23] Picher, Claude « L’arnaque du lait », LaPresse.ca [en ligne] 24 novembre 2009. Récupéré le 5 avril 2017 de :
[24] L’honorable Ginette Petitpas-Taylor, ministre de la santé, Dévoilement officiel du nouveau Guide alimentaire canadien, 2019. Récupéré le 3 mars 2019 de : https://alma.planeteradio.ca/blogue/article/d%C3%A9voilement-officiel-du-nouveau-guide-alimentaire-canadien
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